Cours 5: La théorie de l'attachement
1.QU’EST-CE
QUE L’ATTACHEMENT ?
Au
cours des trente dernières années, plusieurs recherches tendent à démontrer que
le besoin primordial du jeune enfant s’avère d’établir un lien stable et
sécurisant avec une figure maternelle1[1]
répondant à ses besoins. Bowlby[2]
propose le terme d’attachement pour désigner le lien particulier unissant
l’enfant à la figure maternelle.
La
théorie de l’attachement considère la tendance à établir des liens affectifs
étroits comme un élément essentiel à la survie de l’être humain. Selon Bowlby
(1969), l’attachement à la figure maternelle servirait de base, de sécurité à
l’enfant pour explorer l’environnement. Dès la petite enfance, l’enfant
développerait un modèle d’attachement particulier en fonction de l’attitude de
la figure maternelle à son égard. Bowlby prétend que ce lien d’attachement en
devenant intériorisé, servirait par la suite de modèle à toutes les relations
intimes et sociales de l’individu.
2.LES
TYPES D’ATTACHEMENT
La
méthode de recherche la plus répandue pour évaluer la qualité de l’attachement
entre l’enfant et sa mère a été développée par Ainsworth, Blehar, Waters et
Wall (1978). Initialement, Ainsworth a créé cette procédure pour observer
comment les enfants (de 12 à 18 mois) utilisaient leur mère comme base de sécurité
dans une situation anxiogène[3].
La procédure comporte huit épisodes, structurés de façon à générer chez
l’enfant un niveau d’anxiété croissant, quoique modéré. Cette évaluation
standardisée, appelée " situation étrange ", dure environ 20 minutes
et se déroule dans un local inconnu de l’enfant et comprenant des jouets.
Selon
les réponses des enfants à la " situation étrange ", Ainsworth
identifie trois modèles d’attachement. Chaque modèle est associé à la façon
plus ou moins sensible, plus ou moins appropriée et rapide avec laquelle la
figure maternelle répond aux signaux de détresse de son bébé.
Le
modèle sécure, résulte d’une disponibilité de la figure maternelle et
surtout d’une sensibilité aux signaux de son enfant; le modèle anxieux-ambivalent[4],
semble associé à une incohérence des réponses maternelles alternant entre la
disponibilité et le rejet; le modèle anxieux-évitant serait lié à des
interactions intrusives[5]
ou rejetantes de la part de la mère, surtout lorsque l’enfant présente une
vulnérabilité[6]
émotionnelle. La définition d’un quatrième type a été introduite plus tard:
cette catégorie porte le nom d’évitant-ambivalent dans le système de
Crittenden (1992) et de désorganisé-désorienté dans le système de Main
(1996). Il reste beaucoup à découvrir sur ce type d’attachement, mais les
premières recherches tendent à démontrer que les réponses parentales auraient
tendance à susciter de l’effroi chez ce type d’enfants, certains parents ayant
même été maltraitants.
3.IMPORTANCE
DES PREMIÈRES ANNÉES DE VIE DANS LA CRÉATION DES LIENS D’ATTACHEMENT :
IRRÉVERSIBILITÉ[7]
DE CERTAINS DOMMAGES
La
capacité d’établir un lien sélectif avec une figure d’attachement est reconnue
comme un facteur décisif dans le développement normal, puisque l’échec à former
un tel lien dans la petite enfance est associé à des troubles permanents, et en
dépit des traitements, difficilement réversibles de la socialisation. En effet,
l’enfant qui n’a pu bénéficier dans les premières années de vie d’une présence
maternelle apte à favoriser l’apparition de liens d’attachement (soit en raison
de ruptures répétées ou encore de l’incapacité de la figure maternelle à être
sensible à ses besoins) risque de se détourner peu à peu de la relation pour
devenir complètement détaché.
Rutter
1979 (voir Steinhauer, 1996) soutient que l’échec à former un lien sélectif
durant la première enfance entraîne plus tard toute une série de comportements
sociaux inadéquats. Pour lui, l’incapacité à établir un lien sélectif dans la
première enfance compromet sérieusement l’adaptation sociale de l’enfant, ce
handicap ne pouvant être entièrement surmonté plus tard par le placement de
l’enfant dans un environnement plus favorable.
En
1995, Rutter précise que plus la période passée sans substitut maternel stable
et adéquat est longue, plus les possibilités de rattrapage sont limitées. En
effet, l’enfant, au lieu de former de nouveaux liens d’attachement, se détourne
peu à peu de la relation pour réinvestir en lui-même l’amour d’abord destiné
aux figures parentales. Tout se passe comme s’il avait abandonné l’idée qu’on
puisse répondre à ses besoins. Il se montre peu disposé à aimer et à se laisser
aimer, se liant plutôt de façon superficielle aux adultes, qui deviennent
facilement interchangeables à ses yeux.
Selon
Steinhauer (1996), un enfant qui n’aurait pas développé avant deux ans sa
capacité d’attachement conservera de graves séquelles, tant au plan social que
cognitif. En effet, ce dernier prétend que c’est afin de maintenir ses liens à
la figure maternelle, que l’enfant parvient à abandonner des comportements non
désirables socialement mais qui lui procurent du plaisir.
Loeber
(1991, voir Holland et al., 1993) affirme aussi qu’il existe une période
critique durant l’enfance, qui assure l’apprentissage d’habiletés sociales et
que des situations de déprivation durant cette période, par des événements
comme la séparation d’avec la mère, la succession des figures maternelles et la
pauvre qualité des soins, préfigurent des comportements antisociaux ultérieurs.
4.
Attachement et problèmes de socialisation
Depuis
quelques années déjà, les recherches cliniques font état des liens entre
l’attachement précoce à la figure maternelle et les problèmes de socialisation.
Dès 1954, Bowlby soulevait les liens entre les séparations précoces prolongées
et les comportements agressifs et la délinquance. En 1969, Bowlby constate, à
partir d’études menées sur divers échantillons psychiatriques, que deux
syndromes psychiatriques (la personnalité psychopathique et la dépression)
accompagnés de deux sortes de symptômes (la délinquance persistante et la
propension[8]
au suicide), sont associés à de fréquentes ruptures de liens affectifs durant
l’enfance. Goldberg (1990), dans une recherche chez les bébés à risque, met en
évidence que les nourrissons présentant un lien sécurisant étaient plus
compétents intellectuellement et socialement que ceux dont l’attachement était
anxieux et désorganisé (selon des suivis jusqu’à l’âge de 8 ans). Selon lui,
les troubles de conduite se trouvent souvent associés à un attachement de type
non sécurisant ou désorganisé. Plusieurs autres études appuient l’hypothèse
d’une relation entre la qualité de l’attachement en bas âge et les problèmes de
comportement extériorisés à la période préscolaire et scolaire (voir Rycus et Hughes,
1998).
On
peut donc comprendre qu’après quelques années, ce soit l’enfant lui-même (en
raison des problèmes de socialisation développés) qui devienne le principal
obstacle à l’élaboration d’un projet de vie[9]
avec des substituts parentaux. À ce moment, le cadre de vie stable, nécessaire
à tout espoir de récupération d’une certaine capacité relationnelle (tel que
décrit par Steinhauer, 1996) devient de plus en plus difficile à trouver et
surtout à maintenir, à mesure où l’enfant avance en âge, tout en cumulant les
ruptures relationnelles. L’hypothèse d’une période critique au-delà de laquelle
l’enfant risque de perdre ses capacités d’attachement, s’il n’a pas l’occasion
de les exercer, est maintenant supportée par les recherches
neurophysiologiques.
5.
Un appui de taille: la recherche neurophysiologique
Certaines
hypothèses neurophysiologiques actuelles semblent vouloir confirmer
l’importance des soins maternels des premières années de vie sur le
développement de l’enfant. Ainsi une série d’études chez les rats et les
singes, rapportées par le Dr Meaney (1997), démontrent que la croissance et le
développement normal du bébé-rat ne dépendent pas seulement de la nourriture et
de la chaleur, mais également du toucher procuré par ses gardiens. Ces études démontrent
aussi que les bébés-singes et les bébés-rats privés de soins maternels,
commencent à présenter des niveaux accrus d’hormones de stress (les
glucocorticoïdes) qui, en trop grandes quantités, inhibent la croissance et
réduisent la capacité des neurones à former de nouvelles connections, ce qui
peut à long terme avoir des répercussions sur le fonctionnement émotionnel et
intellectuel de l’animal.
De
récentes recherches sur le développement du cerveau, rapportées en 1998 dans la
brochure de l’Institut de la santé infantile, mettent en évidence que le
cerveau fonctionne selon le principe " on perd ce qu’on n’utilise pas
". Si l’enfant ne reçoit pas les stimulations nécessaires, certaines zones
du cerveau demeureront sous-développées, les circuits non utilisés devenant
inopérants[10] après
une période critique située dans les toutes premières années de vie.
Ainsi,
le Dr. Gunnar (Université du Minnesota) démontre qu’à la fin de leur première
année, les enfants dont on s’est occupé de façon constante, chaleureuse et
affectueuse produisent moins de cortisol, une hormone de réponse au stress, qui
inhibe[11]
la croissance. Le Dr. Perry et ses collègues du Baylor College démontrent pour
leur part que les nourrissons et les jeunes enfants maltraités et négligés sont
plus susceptibles de produire une forte réaction au stress et ce, même s’il est
minime.
[1] La
figure maternelle fait ici référence à la personne significative stable que
l’enfant choisit au départ en fonction des réponses empathiques données à ses
besoins. Ce rôle est souvent tenu par la mère mais peut être joué également par
le père, une tante, une mère d’accueil ou toute autre personne significative
pour l’enfant.
[2] John
Bowlby, né le 26 février 1907 à Londres et mort le 2 septembre 1990 sur l'île
de Skye, en Écosse, est un psychiatre et psychanalyste britannique, célèbre
pour ses travaux sur l'attachement, la relation mère-enfant. Pour lui, les
besoins fondamentaux du nouveau-né se situent au niveau des contacts physiques.
[3]
Qui produit l'anxiété, l'angoisse
[4] Caractère de ce qui présente deux valeurs, deux composantes,
opposées ou non
[5]
Qui s'introduit sans invitation.
[6] Fragile, sensible, faible.
[7]
Caractère de ce qui ne peut être ni stoppé, ni annulé. Aucun retour en
arrière n'est possible.
[8]
Penchant
[9]
En
ce sens, on peut dire qu'un projet de vie est la direction qu'une
personne prend pour sa propre existence. ... En se basant sur ses valeurs,
l'homme planifie les mesures qu'il prendra tout au long de son existence dans
le but d'accomplir ses vœux et ses ambitions.
[10]
Qui ne peut rien produire, qui ne peut pas avoir d’effet.
[11]
empêche